2012 : Tapie dans l’ombre
J'ai été interrogé par Libération pour cette enquète sur le retour de Bernard Tapie au Parti Radical de Gauche
Enquête par LILIAN ALEMAGNA
De retour au Parti radical, l’ancien ministre inquiète à gauche : certains le soupçonnent de vouloir jouer double jeu lors de la prochaine présidentielle au profit de Sarkozy.
Que prépare Bernard Tapie pour 2012 ? Débarrassé de toute poursuite judiciaire et de retour dans les affaires - il vient de lancer avec son fils un site de vente en ligne - voilà l’ex-ministre de François Mitterrand, à 67 ans, repartant en politique.
Le 15 mai, l’ancien député français et européen annonce dans le Parisien son retour chez ses amis du Parti radical de gauche (PRG) «comme simple militant», en prenant «l’engagement de ne plus accepter de fonctions importantes comme député ou ministre». Mais comme toujours avec Tapie, ça s’enflamme. A deux ans de la présidentielle, le retour de l’ancien ministre de la Ville, fort en gueule et populaire, qui a soutenu avec vigueur Nicolas Sarkozy en 2007 avant de militer pour l’ouverture - sans succès - auprès des radicaux, fait forcément douter du caractère «purement militant» de l’engagement du bonhomme. «Il ne vient pas seulement pour prendre une carte à 40 euros», mais pour «peser sur les événements à venir», confirme Eric Montès, secrétaire national du PRG, fidèle de Tapie dans les années 90. «Il y a une élection présidentielle qui se profile. Est-ce qu’il entend jouer un rôle ? Je me pose la question, dit Yvon Collin, sénateur et numéro 2 du PRG. Mais on peut subodorer la situation qui arrive», poursuit celui qui a fait venir Tapie au PRG à la fin des années 80. Et lorsque les parlementaires UMP reçus le 11 mai à l’Elysée rapportent que Nicolas Sarkozy juge «très facile de faire exister quelqu’un» à gauche en 2012 pour gêner le PS, le fantasme d’une candidature Tapie ressurgit. Si celui-ci a beau jeu de tout faire pour l’étouffer (lire ci-contre), l’hypothèse tient.
Sous-marin. Comme Mitterrand l’avait utilisé en 1994 pour plomber les ambitions présidentielles de Michel Rocard (12% aux européennes avec sa liste Energie radicale, contre 14,5% pour celle des socialistes, score le plus faible de l’histoire du PS), Tapie jouerait le rôle de sous-marin de Nicolas Sarkozy chargé de torpiller le futur candidat socialiste. Il constituerait aussi cette fameuse réserve de voix dont manquerait le chef de l’Etat au centre de l’échiquier. «Sur ce créneau, il peut difficilement y avoir Bayrou, Villepin, Tapie, écarte un cadre PRG, réticent à une candidature de l’homme d’affaires. Il devrait affronter Sarkozy sur un terrain encombré, ce serait compliqué.»
Mais si la carte Tapie se révèle peu rentable pour Sarkozy, elle peut être maîtresse dans le jeu de radicaux de gauche en quête perpétuelle de visibilité. Pour l’instant, le «militant» Tapie reste «un électron libre» au PRG, explique le président du parti, Jean-Michel Baylet. «Mais si une des conséquences heureuses du retour de ce militant est que les socialistes s’intéressent de près à leurs alliés, ce sera très bien ! Pour l’instant, ils ne s’intéressent qu’à eux-mêmes», regrette-t-il. Car après l’épisode des régionales où les radicaux se sont plaints d’accords non respectés par le PS, les voici mécontents des choix socialistes sur les primaires qu’ils auraient aimé voir, à l’américaine, durer plus longtemps. «Ce sont des petits arrangements entre socialistes ! critique Baylet. Si les dés sont pipés au départ, nous n’en serons pas…» D’où l’«utilité» d’une candidature Tapie pour le PRG, qui aiderait à se faire entendre d’un PS désireux d’éviter un remake de 2002 et la multiplication de candidats de gauche. Elle permettrait aussi d’«aller chercher le vote populaire sur une ligne réformiste», défend Eric Montès.
«irrationnel». Surtout, privés de candidat PRG à la présidentielle en 2007, élus et militants radicaux restent nostalgiques de la période dorée de 1994 avec Tapie. «C’était Evita Perón ! s’emporte Montès. Il devait toucher les bébés, il embrassait les femmes, elles tombaient dans les pommes… C’était irrationnel !» «Il attire la lumière, les médias l’aiment bien, souligne Yvon Collin. L’aile gauche traînera des pieds, mais le PRG est tellement en souffrance de notoriété qu’ils se diront qu’avec sa candidature, on va parler de nous.» A condition que Tapie prennent ses distances avec Sarkozy. «S’il confirme son engagement, ça veut dire qu’il soutiendra le candidat de gauche», se rassure Jean-Bernard Bros, responsable du PRG à Paris. «Baylet ne le laisserait pas être candidat s’il n’était pas sûr qu’il appelle à voter à gauche, promet Montès. Il ne sera pas un cheval de Troie.»
Le «militant» Tapie se défend de toute manigance en prévision de 2012. De retour comme «simple militant» chez les radicaux de gauche, Bernard Tapie exclut de concourir en 2012. Entretien.
Ce n’est rien d’autre qu’une volonté personnelle. On m’avait demandé de ne plus faire de politique. Dès lors que je peux à nouveau m’engager, il est normal que je revienne vers les radicaux de gauche, qui m’ont toujours soutenu. Il y a un décalage entre l’importance des valeurs qu’ils défendent et le fait qu’on ne les entende pas. Je veux le combler.
J’ai beaucoup d’amis au PS et à l’UMP. Ils me racontent ce qui se dit chez eux. C’est marrant : les uns pensent que je suis le sous-marin de Sarkozy, les autres celui de Strauss-Kahn ! Je n’ai pas l’habitude de rouler pour quelqu’un, et la présidentielle n’est pas le but qui m’anime. Je n’ai pas besoin de me présenter aux élections pour être entendu.
En aucune façon. Mais je suis à fond pour le principe de la primaire ouverte. Quel que soit le vainqueur, il aura la légitimité et un coup de boost incroyable !
J’ai fait, à l’époque, une analyse citoyenne en pensant que pour mon pays, c’était ce qu’il fallait. J’assume pleinement cette décision et ne la regrette pas. Sur le bilan, dans les grands moments, Nicolas Sarkozy a été présent. Son action durant la crise a empêché qu’on ait des files d’attente devant les banques. Mais je ne suis pas d’accord sur tout : je suis pour l’ISF, contre les niches fiscales, contre le bouclier fiscal qui est une énormité ! Sur les retraites, je pense qu’il faut quelque chose d’intermédiaire : rallonger la durée de cotisation, mais augmenter aussi l’emploi des plus âgés. DSK le dit très bien.