Témoignage du centre pénitentiaire de Liancourt
Un jeune de l’agglomération creilloise actuellement incarcéré au centre pénitentiaire de Liancourt m’a adressé ce courrier témoignage de sa vie en détention. Je la publie sans coupure, ni commentaires.
A ton arrivée à Liancourt, tout commence par l’attribution d’un numéro d’écrou car on ne t’appellera plus par ton nom mais par ton numéro d’écrou. Vient ensuite la première fouille corporelle totale: çà surprend mais tu vas t’y habituer. Tu passes les trois premiers jours dans le quartier « arrivants » consacrés à un examen médical poussé : radio des poumons, entretien avec le médecin, le psychiatre et même le directeur de la prison. Te voilà transféré à la maison d’arrêt où tu es présenté au chef de détention qui t’explique le règlement et te place dans une cellule avec d’autres détenus.
Seulement tu vas vite comprendre que le règlement intérieur de la prison est très différent de la « loi non écrite » de la prison que font régner les détenus. A peine arrivé, tous les autres détenus veulent savoir la raison de ta détention et t'assaillent de questions, veulent fouiller tes papiers. Tu es déjà « jugé » par les autres détenus avant même que la justice ait statué sur ton sort.
En promenade il y a beaucoup de mobiles qui circulent entre détenus mais il faut payer pour pouvoir en utiliser d'autant que tu ne peux téléphoner tant que tu n'es pas jugé. Le « shit » circule aussi beaucoup mais deux fois plus cher qu'en ville. J'ai vu un gars se faire poignarder dans le dos durant la promenade. Quand une bagarre éclate, il n'est pas rare que d'autres détenus s'en mêlent et s'acharnent sur celui qui est pris à partie. Des groupes se forment, souvent par origine ethnique : les blacks entre eux, les beurs, les turcs, les chinois, les blancs comme si la société multi-culturelle s'arrêtait aux portes de la prison alors qu'à Liancourt on retrouve en majorité des jeunes de l'agglomération creilloise.
Tant que tu n'es pas jugé, tu ne peux accéder au travail, ni à la formation scolaire ou professionnelle. Aussi tu te lasses vite du quotidien. Tu es obligé de te lever à 7 heures pour la visite-fouille des surveillants. Les promenades durent une heure le matin et une heure l’après- midi. Tu peux faire du sport, emprunter des livres à la bibliothèque, squatter le baby foot ou jouer des instruments en salle de musique. Les repas sont distribués le midi et le soir avec une seule boule de pain qui doit faire la journée. Si tu as de l'argent qui te permet de « cantiner » tu pourras t'acheter beaucoup plus que l'ordinaire mais ce n'est pas mon cas. De fait c'est la télévision qui est notre passe temps principal et notre fenêtre sur l'extérieur. La location TV est un bon business pour l'administration pénitentiaire: elle coûte 18 euros par mois pour chaque détenu même si on est trois ou quatre par cellule à regarder la même télé. Nous sommes près de 1000 détenus à Liancourt en comptant le quartier des mineurs, les centres de détention et la maison d'arrêt et nous regardons tous la télé ! Idem pour le frigidaire qui est loué 8 euros par mois.
Je ne suis pas un caïd ou un meneur et les faits qui me sont reprochés ne sont pas glorieux, aussi je reste toujours en alerte vis à vis des autres détenus. Je dors mal et par séquence courte. En promenade ou en activités, je rase les murs et reste sur mes gardes. Un simple mot mal compris, un simple regard de travers peuvent dégénérer en bagarre générale. Je vis toujours avec cette crainte...Depuis quelques mois j'ai été transféré dans le quartier d'isolement ce qui est mieux car tu es seul en cellule. Mais les surveillants sont encore plus présents. Ils passent toutes les heures et le bruit des portes qui claquent et des clefs qui tournent résonne en permanence dans ma tête. Je rencontre l'aumônier de la prison qui m'écoute et me parle de Dieu que je n'avais pas trop côtoyé dans le civil. J'ai commencé un travail sur moi même avec un psychologue car il ne faut rien garder enfoui dans ta tête ou sur ton cœur au risque de « pêter un câble ». Le seul bon moment est le parloir avec ta famille ou tes amis même si tu dois subir des fouilles corporelles totales avant et après la visite.
Finalement la prison est une ville « hors de la Ville » avec sa loi officielle et sa loi non écrite qui ressemble à la loi du plus fort, sans police mais avec des surveillants où le principal est de rester en vie en espérant peut être que ma détention sera utile pour un nouveau départ dans ma vie...